Le 24 mai 1915, dans les capitales des puissances alliées de l’Entente, à Paris, à Londres et à Petrograd en même temps, une déclaration commune a été publiée dont l’auteur et l’initiateur était la Russie. La déclaration avait été précédée d’un appel-télégramme de Sergueï Sazonov, ministre des Affaires étrangères de Russie. Le 15 avril 1915, après avoir reçu les premières informations sur les massacres des Arméniens, le ministre avait écrit le suivant aux ambassadeurs russes à Paris et à Londres : « On a eu de nouvelles informations sur l’anarchie en Turquie asiatique et sur les massacres des Arméniens perpétrés par les Turcs et les Kurdes. Veuillez suggérer que le gouvernement français (britannique) et le Royaume-Uni (France) fassent une déclaration conjointe au gouvernement ottoman, qui tiendra tous les membres du Conseil des ministres turc responsables du massacre des Arméniens, ainsi que tous les responsables civils et militaires impliqués dans ces événements.»
Ainsi, en 1915, les puissances alliées de l'Entente font une déclaration reconnaissant et condamnant les massacres d'Arméniens.
Le texte final de la déclaration est officiellement publié à Petrograd par l’agence télégraphique de Petrograd. "Tout au long du mois dernier, en Arménie ont été perpétrés des massacres d'Arméniens par des Kurdes et des Turcs avec la permission évidente des autorités ottomanes et parfois avec un soutien direct. À la mi-avril, des Arméniens ont été massacrés à Erzurum, Derjan, Egin, Bitlis, Mouche, Sassoun, Zeïtoun et dans toute la Cilicie. Des habitants de centaines de villages autour de Van ont été massacrés. Dans le même temps, le gouvernement turc de Constantinople emprisonne et exerce une pression sans précédent sur la paisible population arménienne. À la lumière des nouveaux crimes contre l'humanité et la civilisation de la Turquie, les gouvernements fédéraux de Russie, de France et d'Angleterre ont déclaré publiquement au gouvernement turc qu'ils imputaient la responsabilité personnelle de ces crimes à tous les membres du gouvernement turc, ainsi qu'à ses membres locaux qui sont complices de ces massacres. "(1).
Du point de vue du droit international, cette déclaration est significative en ce qu'elle caractérise le génocide des Arméniens comme un "crime contre l'humanité et la civilisation" ; la responsabilité pénale personnelle de ce crime international a été imposée à tous les membres du gouvernement turc et à ses représentants locaux (2).
Fait intéressant, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Sazonov, a proposé aux envoyés britanniques et français d'inclure dans une déclaration conjointe la formulation "Crimes contre le christianisme et la civilisation", mais le ministre français des Affaires étrangères Théophile Delcassé a refusé, craignant que cela puisse être outrageux pour les musulmans des colonies britanniques et françaises. Il a donc proposé l'option "crimes contre l'humanité et civilisation", qui est acceptée et incluse dans la déclaration commune (3).
Le 28 mai 1948, avant l'adoption de la Convention des Nations Unies sur le génocide, la Commission des Nations Unies sur les crimes de guerre 1915 dans une déclaration commune du 24 mai 1915, considère que la formulation du « crime contre l'humanité » dans les massacres d'Arméniens est identique aux crimes décrits par le droit international lors des procès de Nuremberg comme des actes inhumains contre leurs propres sujets, à savoir le
génocide (4).
Cette déclaration était exceptionnelle en termes d'application des relations internationales et du droit international. Sur la base de cette déclaration, après la fin de la guerre, les jeunes criminels turcs ont été arrêtés et poursuivis.
Le texte anglais de la déclaration datée du 24 mai 1915 des pays de l’Entente
1. Sir Edvard Grey, ministre des Affaires étrangères de la Grande-Bretagne, 1905-1916
2. Théophile Delcassé, ministre des Affaires étrangères de la France, 1914-1915
3. Sergueï Sazonov, ministre des Affaires étrangères de la Russie, 1910-1916
Bibliographie
1. Maroukian A., Problèmes et justifications historiques pour surmonter les conséquences pour le génocide des Arméniens (Erevan, Institut d’Histoire, 2014), 81-82, sur le processus de reconnaissance internationale du génocide arménien, voir aussi Histoire arménienne, volume IV, livre II (E , Zangak, 2016), 531-542.
2. Maroukian A., Problèmes de surmonter les conséquences pour le génocide des Arméniens et justifications historiques et juridiques, 82.
3. Narek Poghossian, "L'interrelation et la manifestation des crimes contre l'humanité et le génocide dans l'exemple du génocide arménien", Journal des études des génocides 6, no 2 (2018), 96.
4. Maroukian A., Problèmes de surmonter les conséquences du génocide des Arméniens et justifications historico-juridiques 84.