25.03.2022
Le 25 mars est le jour de la mémoire du génocide du Bangladesh de 1971, à cette occasion nous avons parlé avec le chercheur des études du génocide du Bangladesh, Mofidul Hockey.
Le Pakistan a lancé son opération militaire "Projecteur" le 25 mars au Pakistan oriental (anciennement connu sous le nom de Bangladesh) pour supprimer le droit du Bangladesh à l'autodétermination. Les actions du Pakistan conduisent à un génocide, faisant de nombreuses victimes. Le 25 mars est le jour de la commémoration du génocide au Bangladesh, lorsque les Bengalis honorent la mémoire des victimes des massacres de 1971. Quelles cérémonies de commémoration officielles se tiennent au Bangladesh le 25 mars ?
- Depuis 1947, le jour de sa création, le Pakistan a établi la domination de la partie occidentale du pays sur la partie orientale ; cela a commencé par le déni des droits linguistiques et a acquis des formes de priorité culturelles, économiques, administratives et politiques. La lutte du peuple du Bangladesh pour ses droits nationaux a atteint une nouvelle culmination en 1971 avec une victoire écrasante lors des premières élections nationales en 1971 lorsque la Ligue Awam, dirigée par Sheikh Mudjibour Rahman, a obtenu un large soutien pour une majorité à l'Assemblée nationale du Pakistan. Cependant, la junte militaire pakistanaise n'avait pas l'intention de céder le pouvoir aux élus. Trois jours seulement avant l'ouverture de la session parlementaire, le chef du Pakistan, le général Yahya Khan, a reporté unilatéralement la séance. En signe de protestation, Sheikh Mudjibour a appelé au mouvement non violent. Lors d'une réunion publique du 7 mars, il a prononcé un discours historique qui a uni le peuple du Bengale dans sa lutte pour l'autodétermination. Le discours a été reconnu par l'UNESCO comme une inscription "Mémoire du monde". Les dirigeants du Pakistan ont eu recours à la force militaire pour résoudre le problème politique. Dans la nuit du 25 mars 1971, ils ont brutalement attaqué, la population civile du Bengale, lançant l'Opération "Projecteur ". L'attaque contre les nationalistes bengalis, le groupe religieux hindou et l’intelligence, était généralisée et systématisée. Les atrocités ont conduit à l'un des pires génocides depuis la Seconde Guerre mondiale.
S'opposant aux atrocités du génocide, le Bangladesh a lancé sa guerre de libération et en décembre 1971, il est devenu un État indépendant. La société d'État post-génocidaire a initié la commémoration du génocide. Cependant, le processus s'est arrêté en août 1975 par l’assassinat brutal du fondateur du pays, Sheikh Moudjibour Rahman. Puis a suivi une longue période de déni et de falsification de l'histoire. Pendant une longue période d'indifférence, de négligence ou de non-reconnaissance par le gouvernement, les gens commémoraient le 25 mars de façon particulière, notamment en allumant des bougies à la mémoire des victimes du génocide. Avec le changement de gouvernement en 2009, le Bangladesh a retrouvé le droit chemin de l'histoire. La commémoration du 25 mars a pris de l'ampleur, et en 2017 le parlement a officiellement déclaré le 25 mars jour du génocide du peuple du Bangladesh.
1971 Le génocide commis par le Pakistan au Bangladesh s'est accompagné de l'extermination d'intellectuels. Les dirigeants militaro-politiques pakistanais avaient l'intention d'assassiner les éminents scientifiques et spécialistes de chaque ville afin de priver les Bangladais de leur potentiel académique et professionnel. Pendant le génocide arménien, les autorités ottomanes ont également pris pour cible des intellectuels. Que pensez-vous de la destruction de l'élite culturelle et éduquée dans le contexte du génocide ?
- Le génocide est l'acte le plus cruel, qui est commis avec l'intention de détruire la nation. L'identité nationale-culturelle et ceux qui l'expriment et renforcent cette identité, deviennent la cible de forces destructrices. Cela s'est clairement reflété dans le cas du génocide des Arméniens, ainsi que lors des génocides au Cambodge et au Bangladesh. Lorsque l'armée pakistanaise a lancé son offensive le 25 mars 1952, ils ont non seulement ciblé l'université, tuant d'éminents professeurs et universitaires, mais ont également détruit le monument aux Martyrs de la langue de 1952 et quelques autres valeurs culturelles symboliques. L'intention du génocide s'exprime dans la cruauté à l’égard des représentants culturels et éducatifs. Avant leur reddition au 14 décembre 1971, l'armée pakistanaise et ses alliés locaux, ont brutalement tué des intellectuels, des artistes, des enseignants et des écrivains de premier plan. Le Bangladesh célèbre le 14 décembre comme la Journée du meurtre des intellectuels, et un immense mémorial a été érigé sur ce site, qui est un site commémoratif majeur.
Selon diverses estimations, au cours des neuf mois de la guerre d'indépendance du Bangladesh, les militants collaborateurs de l'armée pakistanaise ont tué quelque 3 millions de personnes et violé quelque 250 000 femmes et filles bangladaises. Au moins 10 millions de personnes ont migré vers l'Inde, 30 millions de personnes ont été forcées de fuir leur foyer. Quelles sont les conséquences de cette violence dans la société bangladaise aujourd'hui ?
- Le génocide au Bangladesh a causé d'immenses souffrances au peuple. Aborder la douleur et le traumatisme est un élément important de la lutte. En 2010 le Bangladesh a pu mettre en place un tribunal pour juger les personnes accusées du crime de génocide de 1971. Elle a contribué à la cicatrisation des blessures des victimes, à la réconciliation sociale fondée sur les valeurs du droit humanitaire.
Le public bengali est-il au courant du génocide des Arméniens ? Quels parallèles pouvez-vous établir entre le génocide des Arméniens et celui de Bangladesh » ? Le Bangladesh discute-t-il de la question de la reconnaissance du génocide des Arméniens ?
- En tant que nation victime des atrocités du génocide, nous exprimons notre sympathie et notre solidarité avec les victimes des crimes d'atrocités de masse. Elle s'exprime clairement aux jours des souffrances et de la survie de l'Holocauste. "Le Journal d'Anne Frank" et d’autres œuvres littéraires ou du cinéma sont bien connues par des lecteurs bengalis, les bengalis n'ignorent non plus le génocide des Arméniens. Il y a des références au génocide des Arméniens dans l'art et la littérature. Selim Al Dean a abordé le génocide des Arméniens dans sa pièce "Le déluge". Le Musée de la guerre de libération a construit un complexe commémoratif à la périphérie de Dhaka, près des champs des massacres, connu sous le nom de "Djalladkhana" ou "Antre du boucher". Ils sont accrochés au mur avec une liste des grands génocides du XXe siècle, dont la première mention est la tragédie arménienne.
Au début du XVIIIe siècle, il y avait une communauté arménienne relativement importante à Dhaka, concentrée autour d'Armanitola (le territoire de l'ancienne ville de Dhaka tire son nom de la localité arménienne qui entourait l'église arménienne). La communauté arménienne a joué un rôle important dans le commerce bengali aux XVIIe et XVIIIe siècles. La première réunion publique de la Ligue Avam (l'un des principaux partis politiques du Bangladesh) a eu lieu à Armanitola Maïdan. Comment évalueriez-vous l'importance de l'héritage arménien pour le Bangladesh ? Existe-t-il une communauté arménienne au Bangladesh aujourd'hui ?
- Le Bangladesh était un pays riche à l'époque précoloniale, qui attirait de loin les commerçants et les aventuriers. L'estuaire du Bengale a accueilli des gens de nombreuses régions du monde. Même au début de la colonisation par la société de l’Inde orientale, le commerce mondial prospérait à Dhaka, où de nombreux propriétaires d'usines et commerçants de différentes nations se sont installés. Les Arméniens faisaient partie de la vie de Dhaka, qui est devenue plus tard plus monolithique. Et l'église arménienne, et le cimetière témoigne de la riche vie multiculturelle de Dhaka au milieu du 18ème siècle. L'endroit est encore connu sous le nom d'Armani-tola, ce qui signifie localité d'Arméniens. Malheureusement, le dernier Arménien est mort à Dhaka il y a quelques années. L'église est toujours sous la juridiction des Arméniens, qui protègent l'institution de l'extérieur. En 1848 l’Arménien Nicolas Pogosen a fondé une école qui porte son nom à Dhaka. C'est l'une des plus anciennes écoles de Dhaka.
Quelles mesures ont été prises en 1971 afin de reconnaître et condamner le génocide du Bangladesh ? Le gouvernement pakistanais continue de nier, mais quelle est l'attitude de la société pakistanaise face à la reconnaissance du génocide ?
- Le génocide des Arméniens a eu lieu alors qu'il n'y avait aucune ONU ou aucune organisation internationale qui interviendrait pour arrêter le génocide. Le génocide des Bangladais a eu lieu en 1971, lorsque l'ONU était dans un état d'incertitude en raison de la rivalité de la guerre froide, et aucune mesure n'a été prise pour arrêter le génocide. Le Pakistan nie toujours le génocide de 1971, mais de nombreux artistes, écrivains et militants publics sont à la recherche de la vérité. Le Musée de la guerre de libération du Bangladesh et la société civile sont en contact avec eux et nous croyons que la vérité prévaudra.
Le Musée de la guerre de libération, construit en 1996 à Dhaka, au Bangladesh, commémore la lutte héroïque du peuple bengali pour les droits nationaux contre le génocide déclenché par les chefs militaires de la République islamique du Pakistan. En tant que curateur et fondateur du Musée de la guerre de libération, que pensez-vous d'une éventuelle coopération entre le Musée de la guerre de libération et le Musée-Institut de génocide des Arméniens ?
- Le Musée de la guerre de libération, en tant qu'initiative citoyenne, fonctionne depuis mars 1996, accueilli dans un petit immeuble colonial de deux étages pris à bail. Un fort soutien de la communauté en a fait un musée du peuple, qui est progressivement devenu un riche dépôt de documents historiques, une plate-forme pour divers événements communautaires et des recherches universitaires.
Le mémorial a soulevé la question de la reconnaissance des victimes et de l'administration de la justice pour les crimes de génocide. Le Musée de la guerre de libération a pris diverses initiatives pour faire avancer cette question de l'histoire. De telles actions ont conduit à des liens vers des initiatives similaires dans d'autres parties du monde. Cette solidarité mondiale a enrichi notre compréhension des atrocités du génocide et nous a servi de source de force. Nous voulons raconter notre histoire aux autres, apprendre de l'expérience des autres. Dans ce contexte, la coopération entre l'Arménie et le Bangladesh sont d'une grande importance pour les deux pays. Nous avons un long lien historique et la grande tragédie qui nous est arrivée au XXe siècle a créé de nouveaux liens dans la souffrance et dans les efforts pour la surmonter. Travaillons ensemble pour dire « plus jamais ça » afin de construire un avenir meilleur pour tous.
Narek Poghossian
Chercheur du Département Vahagn Dadrian des études comparatives des génocides au MIGA
Monument aux Martyrs nationaux de la lutte pour l'indépendance du Bangladesh de 1971