"Zohrab n'est pas une personne ordinaire, de ceux qui naissent et meurent par milliers chaque jour. C'est un critique. Il n'aime pas l'environnement où il vit et son entourage, une personne mécontente qui expliquera même les raisons de son mécontentement…"
A. A. ALPOÏATCHIAN
Grigor Zohrap a vécu une vie riche, a eu une grande activité et multiforme dans l'histoire de notre esprit littéraire-culturel et publique-politique.
Il est né en 1861, dans la famille de Tchepouktchi Khatchatour dans le quartier de Pechiktach à Constantinople.
Le célèbre historien et philologue Archak Alpoïatchian atteste:
"G. Zohrab est né le 14 (26) juin 1861, jour de l'accession au trône du sultan Aziz. Et comme c’était le jour de la naissance de Loussavoritch, il fut baptisé Grigor".
À Constantinople, il est diplômé de deux établissements d'enseignement supérieur français avec un diplôme en ingénieur de constructions (1879) et en droit (1882). Zohrab a fait ses études avec Talaat à la Faculté de droit. Au départ, ils ont plaidé pour la démocratie contre le régime du sultanat. Cependant, après le coup d'État des Jeunes Turcs, Talaat a renoncé à ses anciennes convictions, tandis que Zohrab a mené une lutte pour ces idées jusqu'à la fin de sa vie.
De 1883 à 1915, Zohrab pratique le droit par intermittence, en même temps qu'il enseigne le droit de l'Empire ottoman, le droit pénal à l'Université de Constantinople.
Zohrab était connu comme avocat, non seulement parmi les Turcs et les Arméniens, mais aussi parmi les Grecs, les Juifs, les Bulgares et les autres minorités de l'Empire ottoman.
En janvier 1884, Zohrab part pour Edirne (Adrianople), passe les examens à la commission d'enquête de la préfécture, reçoit un certificat d'avocat de première classe et retourne à Constantinople.
Le périodique "Masis" daté de 1/13 février annonce :
"Nous étions heureux d'apprendre que Grigor Effendi Zohrapyan, qui à l'âge de dix-neuf ans a obtenu un diplôme en architecture géométrique au Lycée impérial de Bose et chouet, et enfin, après avoir étudié le droit, a récemment réussi ses examens et a reçu une première classe certificat d'avocat. Nous exprimons notre sincère joie et lui souhaitons plein de succès."
En 1885-1886 il a fait la connaissance de Clara Poghos Yazitchian, et l’épouse le 31 janvier 1888. Il a pu offrir une vie luxueuse et prospère à sa famille. Comme en témoigne sa fille aînée
"Il aimait les beaux mobiliers anglais, les meubles de style Luekens, ainsi que les beaux tapis."
Dans les années 1890, Zohrab était également engagé dans l'édition, travaillant pour un certain nombre de journaux et de magazines arméniens.
Nous apprenons des mémoires de Zohrab qu'à l'âge de 17 ans, il est déjà apparu dans la presse. Le 26 octobre, il publie dans le journal "Lragir" l'article
«Qu'avons-nous gagné au Congrès de Berlin ? », réalisé contre le cahier du même nom par le secrétaire-traducteur de la délégation arménienne Minas Tcheraz. Il se rappelle plus tard que lui seul osa discuter avec Tcheraz, déclarant que les Arméniens n'avaient rien gagné du Congrès de Berlin.
En 1892-1893 il rédige le magazine "Masis" avec le célèbre pédagogue Hrat Asatour.
Depuis 1908, il travaille pour "Haïrenik", "Arévelk", "Azatamart" et d'autres périodiques.
En 1895-1896, lors des massacres des Arméniens organisés par le sultan Hamid II, Zohrab a pris la parole en tant qu'avocat pour la défense des prisonniers politiques.
En 1905, une tentative d'assassinat a été commise contre le sultan Hamid II. Zohrab est également arrêté, mais en tant qu'avocat, il parvient à être libéré.
En 1906 l'ambassade de Russie à Constantinople informe les autorités turques que Zohrab "n'a jamais reçu ou occupé le poste de traducteur" mais est un conseiller juridique, interdisant à Zohrab de conduire des procès devant les tribunaux turcs.
En 1908, il part pour Paris. Il est sous le contrôle d'espions turcs depuis des mois. Extrait de la lettre de 20 juillet 1909.
«… La dernière fois que j’étais à Paris, la policiers secrets français, engagés par Hamid, m'ont suivi à chaque étape, à tel point que j'ai été privé de voir Chirvanzadé et Tcheraz.
En juillet de la même année, après le coup d'État des Jeunes Turcs, il revient à Constantinople et commence à s'engager dans des activités d'enseignement juridico-organisationnelles et de conférencier.
En 1908-1915 Zohrab est relativement rare dans les publications littéraires-artistiques, publicitaires et autres. Le principal sujet de sa préoccupation était la question arménienne.
En 1908-1915 Zohrab est élu député à l'Assemblée nationale, au Parlement ottoman. Il était actif en exigeant la reconnaissance des droits politiques et nationaux des minorités nationales de l'Empire ottoman - des transformations démocratiques dans la législation, l'éducation, la science et l'art. Il a pris la défense des droits politiques et socio-économiques des Arméniens de l'Empire ottoman.
En 1913, à Paris, Zohrab, sous le pseudonyme de Marcel Lear, a publié l'ouvrage
"La question arménienne" en français, qui présentait l'histoire de la question arménienne, le pourcentage de la population arménienne dans l'Empire ottoman, et les réformes mises en œuvre par le gouvernement turc dans les provinces arméniennes de l'Empire ottoman.
En 1912-1914 il a participé aux négociations des ambassades des grandes puissances sur la question arménienne, et en 1914, avec Archak Tchopanian, il a participé à l'élaboration du projet de traité entre la Sublime Porte et la Russie.
En tant que député du Parlement ottoman, il a fait de son mieux pour empêcher le crime planifié, au péril de sa vie.
Zohrab écrit dans son journal intime avec douleur :
"Il est arrivé ce qu’il devait arriver : la nuit dernière, la police a procédé à de grandes arrestations contre les Arméniens, rassemblant tous les principaux membres de la Fédération révolutionnaire arménienne, d'abord Aknouni, Zardarian, Pachaïan… des médecins, de nombreuses personnalités notables."
Zohrab a été arrêté en mai 1915.
Sa femme, Clara Zohrap-Yazitchian, écrit :
"Pendant l'incarcération de mon mari, des agents turcs ont confisqué tous les documents et les paquets de notre appartement à Béra. Parmi ces papiers se trouvaient les manuscrits littéraires et juridiques de mon mari, qui sont d'une grande valeur pour moi et ma nation."
Le 27 mai 1915 Zohrab écrit une lettre à Talaat depuis Gonia.
"Je suis envoyé à Diyarbakir pour un interrogatoire spécial je ne sais pas pour quelle raison. Selon les rumeurs répandues, j'ai fait preuve de résistance et d'hostilité envers le gouvernement..."
En route pour l'exil, G. Zohrab continue d'écrire de nombreuses lettres à des hauts fonctionnaires ottomans. Il s’adresse aussi à Nazim Bey.
"Votre Majesté, mes amis proches m'ont oublié, et attendre l'humanité de personnes moins connues est la tâche équilibrée et harmonieuse du monde. Je ne sais toujours pas quel crime ils m'attribuent. Je sais seulement que c'est une calomnie absolue."
Le 6 juillet (19 juin) 1915, alors qu'il était en route de l’exil près d'Urfa, les Turcs le tuèrent brutalement.
Kristiné Nadjarian
Responsable des programmes éducatifs
Grigor Zohrab, âgé de 18 ans
G. Zohrab avec son fils Aram Hakob Zohrab, Belgique, 1910
L’épouse de Grigor Zohrab, Clara Zohrab
Le bâtiment de Constantinople où vivait Grigor Zohrab ; sur le balcon, au moment de repos
Copie de l'autographe de la lettre écrite à Clara Zohrab, 2/15 juillet 1915