Histoires de rescapés |
« JE ME SOUVIENS DES GENDARMES TURCS, QUI NOUS ONT EXILÉS À DEIR-EZ ZOR EN NOUS BATTANT AVEC LES MATRAQUES »
Les témoignages de Mariam Barditchian
1909, Moussa Dagh, village Haji-Habibli
Mariam Barditchyan, survécue au génocide, était d’origine du village Haji-Habibli (Moussa Dagh). Son père fut recruté dans l’armée ottomane les premiers jours des massacres et sa mère n’arriva pas de monter la montagne avec ses trois petits-enfants et ainsi elle apparut parmi les déportés. Mariam a raconté comment ils ont été déportés à Adana, où elles sont restées sans nourriture et eau. Sa mère et sa petite sœur moururent de faim et de soif. Mariam et sa sœur cadette se retrouvèrent finalement dans l’orphelinat.
« …En 1914, mon papa a été mobilisé dans l’armée ottomane du village Haji-Habibli de Moussa Dagh. Ma jeune mère et ses trois petits enfants n’ont pas arrivée de monter la montagne, et nous sommes apparus dans les convois des exilés, dans les déserts de « l’Arabstan ». Je me souviens des gendarmes turcs, qui nous ont exilés à Deir-ez Zor en nous battant avec les matraques. Ils battaient tellement fort qu’un vieillard est mort sur la route. Il y avait beaucoup de monde. Il y avait des Arméniens de partout, de Dortyol, de Hajin, de Zeitoun. Les Arméniens de tous les côtés ont été emmenés là-bas. Nous y sommes restés sous le soleil. Tout le monde a été exilé à Deir-ez Zor. Mon grand-père qui était avec nous, n’y est pas allé, parce que son fils, ça veut dire mon père, était le soldat de l’armée ottomane. C’est comme ça que nous nous sommes sauvés de Deir-ez Zor. Ensuite, on nous a exilés à Homs. Un ordre est arrivé du gouvernement : « Empoisonnez les chiens ». Ils voulaient faire comprendre qu’il fallait tuer les Arméniens, mais le préfet d’Adana Djemal Pacha nous a aidés. Il a ordonné d’empoisonner les vrais chiens et ainsi il a sauvé les Arméniens de la mort. Mais il a dit « vous devez changer vos noms, vous devez avoir des noms turcs pour qu’on ne vous tue pas… » On disait que Djemal pacha avait une nourice arménienne, c’est pourquoi il aimait les Arméniens. Il a enfin donné l’ordre de changer nos noms. Un est devenu Choukri, l’autre –Ahmed, l’autre- Housseyn, on a également changé les noms des femmes et des filles.
C’est comme ça que nous sommes restés Arméniens.
On nous a dit : « Nous vous emmèneront à Alep, mais ils ne nous ont pas emmené à Alep, ils nous ont laissé à Homs. Il y avait beaucoup de monde là-bas de tous les côtés. Le soleil brûlait fort, les gens ont enlevé les lignes de lit et ont fait des tentes sous lesquels le soleil ne brûlait pas. Il faisait chaud, il n’y avait pas d’eau. Si on crachait, la salive n’arrivait pas jusqu’à la terre. J’avais une petite sœur, elle s’appelait Vardouhi, elle pleurait, voulait du raisin. Ma mère qui était une très belle femme, a commencé à pleurer et battre sa poitrine avec la main: « Les vignes de notre jardin se cassaient de lourdeur, et moi, je ne peux pas t’en donner ».
Puis ma petite sœur a voulu de l’eau, mais il n’y avait pas d’eau. La pauvre est morte dans les mains de ma maman en disant « l’eau, l’eau, l’eau… » Mon grand-père et moi nous avons un peu creusé le sol et nous avons mis l’enfant là-bas, puis nous sommes partis. Nous sommes venus à un endroit où nous sommes restés la nuit, dans les pierres, dans les roches. Parmi nous il y avait quelques hommes malades, vieillards, aveugles, invalides, les autres étaient les femmes et les enfants. Ensuite, les Turcs sont venus nous piller. Mon grand-père est mort là-bas…
Il n’avait pas de place la nuit, ma mère s’est couchée par terre. Ma sœur Khatoun et moi nous tressions les cheveux de ma mère. Nous jouions avec ses cheveux comme ça et une femme s’est approché de nous et a dit : « Les pauvres petites ne sont même pas au courant que leur mère est morte… ». Nous étions enfants et nous ne savions pas que notre seule maman n’était plus.
La femme de notre connaissance Margar faisait des broderies et vendait aux Arabes. Une femme arabe l’a dit un jour : « il n’y a pas de petite fille pour joindre à moi ? » Cette femme arménienne m’a dit : « Allez, je vais t’emmener chez l’Arabe ». Moi je suis allée avec elle. Elle était riche et très bonne cette Arabe, si elle est morte maintenant, alors paix à son âme. Elle était couturière et cousait à la maison. Les dames riches venaient pour prendre du café, fumer des cigarettes, et moi j’apportais de l’eau avec le pot, je peignais la laine…. Je n’avais que cinq ou six ans. Je suis restée innocente quatre ans. Ensuite, quand l’allemand est sorti de Homs, le turc est tombé, l’anglais et le français sont venus. Un jour je suis allée au puits chercher de l’eau avec le pot, un prêtre grec est venu me demander en arabe : « Ea benti, enta arman ? (Fille, es-tu arménienne). J’ai dit « Bitem islam, bel alim arman, ça veut dire « je suis musulmane avec la langue mais je suis Arménienne dans l’âme ».
Il m’a ensuite dit : « Viens vite, je vais t’emmener chez tes compatriotes ». J’ai emmené le pot d’eau à la maison, j’ai enlevé mes chaussures, pour ne pas faire du bruit, et je suis prudemment sortie de la maison et je suis allée avec le prêtre. Merci à Dieu ! Le prêtre m’a accompagné jusqu’à l’orphelinat du quartier de Horom, où il y avait beaucoup d’orphelins. J’y ai retrouvé ma sœur Khatoun. Nous étions heureuses, mais j’avais oublié l’arménien, je parlais l’arabe. J’avais oublié notre langue… »
Վերժինե Սվազլյան, Հայոց ցեղասպանություն. Ականատես վերապրողների վկայություններ, Երկրորդ համալրված հրատ., Երևան, ՀՀ ԳԱԱ «Գիտություն» հրատ., 2011, վկայություն 294, էջ 505:
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